Faire cohabiter l’univers des fourneaux avec celui du service, c’est une réflexion que mènent chefs et directeurs de restaurant, de la conception même des assiettes au partage de la dégustation.
Lors de sa démonstration au dernier festival Omnivore, Anne-Sophie Pic a présenté une noix de Saint-Jacques cuite au four dans une noix de coco, avec du céleri, du rhum et de la truffe. Le travail de découpe en salle et la présence d’un ‘ovni’ blanc et olfactif (quand la noix de coco est ouverte), cela participe de l’expérience ‘polysensorielle’ qu’elle souhaite donner à sa cuisine, mais aussi des recherches qu’elle entreprend sur le lien avec la salle. Pour son plat autour de l’huître et du café, une préparation du café à la Chemex est faite en salle et pour cela, plusieurs maîtres d’hôtel ont été formés. Directrice de La Maison des plumes à Giverny, Nadia Socheleau essaie aussi de réintégrer la découpe en salle, notamment grâce à une selle d’agneau en croûte de sel. « Il faut rendre plus rock’n’roll notre quotidien et ça passe aussi par la technique. » En référence à la Fondation Monet toute proche, un menu inspiré de l’impressionnisme est en cours d’élaboration. Il y a aura des passerelles entre la période artistique et les plats, et des clins d’oeil seront faits en salle. Nadia Socheleau explique réfléchir au discours qui va accompagner ce menu au moment du service. C’est aussi une façon d’impliquer l’équipe.
L’importance de faire déguster
Depuis son arrivée il y a un an chez Taillevent (Paris VIIIe), le chef pâtissier François Daubinet met en place des créations qui sont proposées entre autres classiques (soufflé au chocolat, crêpes Suzette). Composé de dix recettes, son dessert Découverte autour du pain grillé, à base de pain perdu snacké, d’un parfait glacé à la vanille, d’une tuile de pain, d’une glace au pain grillé et d’une crème onctueuse à la vanille, a récemment été mis à la carte… Après une semaine, le chef pâtissier de 27 ans s’est aperçu qu’il était peu commandé. « J’en ai discuté avec le directeur de restaurant, Jean-Marie Ancher, et nous avons décidé d’organiser une dégustation avec les huit maîtres d’hôtel et chefs de rang. » L’élément inhabituel en pâtisserie, le pain grillé, demande une introduction en salle et pour cela, il faut l’avoir goûté. « Je leur ai expliqué que cela faisait des mois que je faisais des recherches sur ce dessert et l’équipe a compris pourquoi j’insistais. » Depuis la dégustation, les commandes du dessert ont été boostées. « Je mesure le rôle de l’équipe en salle sur la façon de guider les clients et les ventes d’un produit. Et je pense que leur faire goûter les desserts avant est une marque de respect. »
Passer quelques heures en cuisine ?
Un jour de sous-effectif en cuisine, Simon Horwitz (Elmer, Paris IIIe) s’est rendu compte que les membres de la salle qui étaient venus l’aider réagissaient différemment. « Je les entendais avec les clients… ça, ça va là et ça, ça se fait comme ça. J’ai alors pensé : qui peut arriver à vendre mieux si ce n’est celui qui a contribué ? Ce n’est pas grand chose de participer un peu à la préparation, mais ça permet de mieux expliquer la présence de tel ou tel élément. » Lorsqu’il travaillait chez Ben Shewry (Attica, Melbourne), toute l’équipe se réunissait chaque jour à 15 heures autour de l’un d’entre eux qui faisait un exposé sur le sujet qu’il souhaitait. « Cela pouvait être la céramique, le jus, qu’importe. Tout le monde écoutait et prenait des notes. C’est cet esprit d’unité qu’il faut avoir », note Simon Horwitz. Un autre élément va lui permettre d’aller dans ce sens : le pain fait sur place. « Je pense proposer au directeur de salle, et peut-être aux autres, de mettre la main à la pâte et de passer une matinée avec nous en cuisine. Par la suite, j’espère pouvoir faire la même chose de la cuisine vers la salle. »
L’Hôtellerie parue le 29 mars 2016
Par Caroline Mignot